Souvenirs d'un institueur(8)
La visite de directeur
Par :Youssef el Ansari
Traduit par :Mostapha Lotfi Glillah
Par :Youssef el Ansari
Traduit par :Mostapha Lotfi Glillah
Les cas d'enseignants qui avaient jeté l'éponge n'étaient pas rares. Les conditions du travail et de vie tout court étaient si dures qu'ils en avaient été choqués. Ils avaient rebroussé chemin ou disons-le sans drssimulation, ils avaient pris la poudre d'escampette. Ce qui est un peu moins glorieux. Ils avaient jeté le bébé et l'eau du bain. Ils étaient retournés chez eux pour réorienter leur vie, la refaire, loin, très loin de ce métier ingrat. Néanmoins, j'ai opté pour continuer pour la même voie, n'empêche sa rudesse et son entrain rocambolesque. La voie était si rude, si rustique qu'elle surpassait mes capacités, mes forces. Je m'étais résigné à aller de l'avant. Je ne devrais pas surtout attirer l'infamie sur les miens, les voisins et ceux qui me connaissent. J'avais un amour-propre vif qui s'obstinait et s'entêtait à se rendre.
Que diraient de moi certaines vilaines langues prêtes à me charcuter comme des charognards?. Il n'a pas réussi. Il n'a pas résisté. Un bon à rien!
Ces messieurs et dames calomnieurs vont savourer les exploits de certains des leurs qui avaient poursuivi la carrière. Je serai leur risée, le modèle à ne pas suivre. Ils siroteraient le thé. Ils prendraient un malin plaisir à parler de ma contre-performance. Ils dégustaient mon fiasco comme des cacahuètes et de petites gorgées du thé. J'étais décidé à poursuive l'aventure. J'étais à l'affût de l'action, plein à satiété d'enthousiasme, en dépit de la solitude, le confinement, le dépaysement... Je vivais une "expatriation" sans avoir entrepris une "harga" (les immigrants clandestins de la méditerranée brûlaient leurs papiers d'identité d'où vient ce terme macabre) (NdT) .
Hélas!, un redoutable choc vint secouer ma détermination. Mes espoirs furent réduits en lambeaux, avec un arrière goût amer et lugubre.
Un mois s'était écoulé depuis mon"intronisation" à l'école satellite "Daouabid". J'y étais le roi unique, incontestable quoique un peu déboussolé. J'étais ce roi en déroute qui ressoudait ses alliances, qui redeployait ses troupes lesquelles étaient réparties en bataillons (classes) dont j'étais le commandant censé leur offrir les apprentissages en guise d' offrandes. J'étais le prince victorieux qui devrait mener ses sujets vers la voie du succès et de sérénité.
J'essayais, je ressayais pour prendre les rênes de mon royaume avec maestra....
Je m'étais en cette journée, qui resterait sans doute gravée à jamais dans ma mémoire, réveillé très tôt. C'était devenu désormais un rituel. Je caressais mon petit - déjeuner. Je sirotais en douceur mon thé. Je contemplais mon verre. Je la tournais et la retournerais de tous les côtés. J'avais l'air d'un géologue examinant minutieusement un minerai rarissime. Cette contemplation me transportait vers d'autres univers. Je m'imaginais dans un océan où je naviguais suivant des ondulations inconstantes et d'infinis tourbillons. C'était un monde qui me ramenait fatalement vers un vide et un ennui implacables.. Et en un clin d'oeil, un rare moment de clairvoyance, j'ai décelé à l'horizon une "boîte blanche" immaculée comme la neige. C'était comme une tuque blanche sur le crâne d'un africain. C'était probablement une voiture blanche!. Voir une voiture, hormis "la transit" ordinaire, n'était pas familier. Le familier c'était le vide, la désolation, le néant. Qui a osé "depuceler" la monotonie?
Je baignais en hypothèses alors que deux personnes s'approchaient de mon royaume... C'était le directeur en compagnie de concierge. Ils voulaient me rendre visite!
Les battements de mon coeur étaient palpables. Ils étaient comme les cris de tombours annonçant l'envahissement et le saccage de mon royaume, de ma chasse gardée.
L'ennemi? Serai-ce juste de qualifier le directeur comme 'ennemi de l' institueur?. La réponse est un non catégorique alors pourquoi cette sensation désagréable qui m'assaillait?
Le directeur, sexagénaire, était de petite taille. Il était droit et sa droiture défiait fièrement le redoutable effet du temps. Il portait une djellaba bleue. Il ressemblait ce cône du sucre(قالب السكر )،incontournable dans les réceptions marocaines. Il avait des cheveux dont la couleur noirâtre semblait s'évanouir sous les coups du "grisonnement". Il était aussi atteint de cette alopecie réduisant le système pileux à une peau du chagrin. Seule une minuscule zone persistait sur le postérieur du crâne. Il avait un visage dont les reliefs étaient ridés par le poids des ans et des épreuves. Ses traits reflétaient à la fois la robustesse et un équilibre sage et ces lunettes concaves lui octroyaient une vénération et laissaient entrevoir une longue expérience de vie.
Malgré qu'il avait atteint un certain âge qui lui accordait une touche de sénilité accompagnée d'une vision chancelante, Il traversait la route rocailleuse et rude dans ma direction avec consistance et obstination magnifiques. J 'avais accouru pour lui ouvrir la porte. Le directeur, mon directeur était devant moi, en chair et en os. Il avait un sérieux glaçant et son regard m'avait soufflé bien avant que sa main soit tendue pour me saluer. Il a souri superficiellement et s' est interrogé laboriousement sur mes circonstances. J'étais gêné qu'un intrus aurait transgressé les contours de mon royaume, fût-ce modeste qu' il soit! son regard inquisiteur se posait lourdement sur mes petites choses,mes habits éparpillés,mes livres dispersés et mes ustensiles disséminés ici et là et quelques pupitres qui meublaient l'espace.
J'ai jeté ce qui reste du thé au fond de mon verre. Je l'ai lavée et j'y ai versé notre boisson nationale. Je me suis excusé auprès du concierge. Mon verre unique était le reflet de la condition de son modeste propriétaire.
Nous étions en classe-maison, les revendications du directeur se poursuivaient comme les gouttes d'une pluie bien fournie. Le responsable administratif brandissait à ma face son tampon comme une redoutable arme.
-professeur, je veux les répartitions annuelles et mensuelles!
-je ne les ai pas préparées.
-et le cahier-journal!
-il y en a pas!
-et le registre des absences?
-il y en a pas!
-et les fiches?
-j'ai juste un minuscule carnet où je consigne toutes ces choses. Je lui avais remis le calepin. Il l'avait jeté. Il avait l'air furieux. Il avait ramassé ses "affaires" tout en grinçant les dents. Il avait manifesté son côté méchant et peu rassurant. Il a quitté la classe-logis tout en me laissant mettre de l'ordre dans mes papiers. Je l'ai suivi dans la petite masure de terre d'à côté.
Là-bas, il discutait avec quelques élèves lève - tôt qui étaient arrivés avant l'heure de la rentrée. Il a murmuré quelques mots. Les élèves lui avaient répondu humblement et avec timidité manifeste. Cette situation a rendu ma condition encore inconfortable. Je me rongeais de colère dans mon for intérieur. Ils étaient généreux avec les élèves en leur donnant quelques morceaux de craie. Pour ces pauvres gamins, c'était une offrande qu'ils remerciaient avec une grande gratitude.
Je l'ai recroisé sur mon chemin quand je me dirigeais vers la porte de ma classe pour l'ouvrir alors que lui, il était en train de quitter les lieux. En un éclair, nos pas et nos regards se croisèrent . Son regard était furieux, plein de mépris et de disgrâce. Il est parti tout en laissant chez moi une blessure incurable. C'était la pire chose qui devrait arriver à un enseignant débutant comme moi qui cherche ses repères.
Le directeur m'avait laissé en lambeaux. Il ne m'avait pas appuyé avec un seul mot. Il ne m'avait consolé avec une seule expression de son visage. Il était venu tamponner les documents et il ne les avait pas trouvés. Il était aussi venu pour entendre les élèves entonner avec leurs voix graves cette symphonie lui souhaitant la bienvenue :Assalam alykoum: que la paix et la clémence d'Allah soient sur vous! . Bienvenu notre honorable visiteur!
La symphonie n'était pas aussi bien mesurée comme celles dont il avait l'habitude d'entendre dans les classes des autres enseignants chevronnés.
L'impression du directeur qu'il s'est faite de moi était très négative. J'étais négligent, fainéant, irresponsable. J'étais affublé de tous les défauts. Cette première mauvaise impression comme une ombre jusqu'à la fin de l'année scolaire. Le directeur ne manquait aucune opportunité pour me dénigrer tout comme lors de ce dîner qui nous réunissait chez lui. J'étais le premier à quitter la table et à réciter les louanges rituels pour remercier la grâce de Dieu. Le directeur m'avait lorgné d'un regard furieux et m'avait transpercé d'une flèche mortelle."tu ne manges pas, tu ne travailles pas!"
J'avais l'âge, cher directeur de vos enfants cadets. J'espérais un appui inconditionnel de votre part. Je m'attendais à une poussée d'encouragement de votre côté qui m'aiderait à dompter cette solitude affligeante. Je m'attendais à quelques éloges même prétendues pour éclairer ma nuit sombre. Je m'attendais à des mots de gratitude et de reconnaissance dont je me rappelais aux pires moments de cet isolement ingrat et qui rendraient mon sourire perdu. J'étais comme un soldat engagé dans ces montagnes. J'avais opté pour la persévérance et le travail. Vous êtes venus et vous m'avez déçu! Pire, j'étais déçu de moi-même. Vous avez laissé mon âme désemparée, livrée à une lutte désespérée face à la solitude et à la dureté des circonstances et la déception qu'elles ramènent.
Vous êtes venus,Mr le directeur. Ah! si vous n'êtes pas venus!
-30-
Que diraient de moi certaines vilaines langues prêtes à me charcuter comme des charognards?. Il n'a pas réussi. Il n'a pas résisté. Un bon à rien!
Ces messieurs et dames calomnieurs vont savourer les exploits de certains des leurs qui avaient poursuivi la carrière. Je serai leur risée, le modèle à ne pas suivre. Ils siroteraient le thé. Ils prendraient un malin plaisir à parler de ma contre-performance. Ils dégustaient mon fiasco comme des cacahuètes et de petites gorgées du thé. J'étais décidé à poursuive l'aventure. J'étais à l'affût de l'action, plein à satiété d'enthousiasme, en dépit de la solitude, le confinement, le dépaysement... Je vivais une "expatriation" sans avoir entrepris une "harga" (les immigrants clandestins de la méditerranée brûlaient leurs papiers d'identité d'où vient ce terme macabre) (NdT) .
Hélas!, un redoutable choc vint secouer ma détermination. Mes espoirs furent réduits en lambeaux, avec un arrière goût amer et lugubre.
Un mois s'était écoulé depuis mon"intronisation" à l'école satellite "Daouabid". J'y étais le roi unique, incontestable quoique un peu déboussolé. J'étais ce roi en déroute qui ressoudait ses alliances, qui redeployait ses troupes lesquelles étaient réparties en bataillons (classes) dont j'étais le commandant censé leur offrir les apprentissages en guise d' offrandes. J'étais le prince victorieux qui devrait mener ses sujets vers la voie du succès et de sérénité.
J'essayais, je ressayais pour prendre les rênes de mon royaume avec maestra....
Je m'étais en cette journée, qui resterait sans doute gravée à jamais dans ma mémoire, réveillé très tôt. C'était devenu désormais un rituel. Je caressais mon petit - déjeuner. Je sirotais en douceur mon thé. Je contemplais mon verre. Je la tournais et la retournerais de tous les côtés. J'avais l'air d'un géologue examinant minutieusement un minerai rarissime. Cette contemplation me transportait vers d'autres univers. Je m'imaginais dans un océan où je naviguais suivant des ondulations inconstantes et d'infinis tourbillons. C'était un monde qui me ramenait fatalement vers un vide et un ennui implacables.. Et en un clin d'oeil, un rare moment de clairvoyance, j'ai décelé à l'horizon une "boîte blanche" immaculée comme la neige. C'était comme une tuque blanche sur le crâne d'un africain. C'était probablement une voiture blanche!. Voir une voiture, hormis "la transit" ordinaire, n'était pas familier. Le familier c'était le vide, la désolation, le néant. Qui a osé "depuceler" la monotonie?
Je baignais en hypothèses alors que deux personnes s'approchaient de mon royaume... C'était le directeur en compagnie de concierge. Ils voulaient me rendre visite!
Les battements de mon coeur étaient palpables. Ils étaient comme les cris de tombours annonçant l'envahissement et le saccage de mon royaume, de ma chasse gardée.
L'ennemi? Serai-ce juste de qualifier le directeur comme 'ennemi de l' institueur?. La réponse est un non catégorique alors pourquoi cette sensation désagréable qui m'assaillait?
Le directeur, sexagénaire, était de petite taille. Il était droit et sa droiture défiait fièrement le redoutable effet du temps. Il portait une djellaba bleue. Il ressemblait ce cône du sucre(قالب السكر )،incontournable dans les réceptions marocaines. Il avait des cheveux dont la couleur noirâtre semblait s'évanouir sous les coups du "grisonnement". Il était aussi atteint de cette alopecie réduisant le système pileux à une peau du chagrin. Seule une minuscule zone persistait sur le postérieur du crâne. Il avait un visage dont les reliefs étaient ridés par le poids des ans et des épreuves. Ses traits reflétaient à la fois la robustesse et un équilibre sage et ces lunettes concaves lui octroyaient une vénération et laissaient entrevoir une longue expérience de vie.
Malgré qu'il avait atteint un certain âge qui lui accordait une touche de sénilité accompagnée d'une vision chancelante, Il traversait la route rocailleuse et rude dans ma direction avec consistance et obstination magnifiques. J 'avais accouru pour lui ouvrir la porte. Le directeur, mon directeur était devant moi, en chair et en os. Il avait un sérieux glaçant et son regard m'avait soufflé bien avant que sa main soit tendue pour me saluer. Il a souri superficiellement et s' est interrogé laboriousement sur mes circonstances. J'étais gêné qu'un intrus aurait transgressé les contours de mon royaume, fût-ce modeste qu' il soit! son regard inquisiteur se posait lourdement sur mes petites choses,mes habits éparpillés,mes livres dispersés et mes ustensiles disséminés ici et là et quelques pupitres qui meublaient l'espace.
J'ai jeté ce qui reste du thé au fond de mon verre. Je l'ai lavée et j'y ai versé notre boisson nationale. Je me suis excusé auprès du concierge. Mon verre unique était le reflet de la condition de son modeste propriétaire.
Nous étions en classe-maison, les revendications du directeur se poursuivaient comme les gouttes d'une pluie bien fournie. Le responsable administratif brandissait à ma face son tampon comme une redoutable arme.
-professeur, je veux les répartitions annuelles et mensuelles!
-je ne les ai pas préparées.
-et le cahier-journal!
-il y en a pas!
-et le registre des absences?
-il y en a pas!
-et les fiches?
-j'ai juste un minuscule carnet où je consigne toutes ces choses. Je lui avais remis le calepin. Il l'avait jeté. Il avait l'air furieux. Il avait ramassé ses "affaires" tout en grinçant les dents. Il avait manifesté son côté méchant et peu rassurant. Il a quitté la classe-logis tout en me laissant mettre de l'ordre dans mes papiers. Je l'ai suivi dans la petite masure de terre d'à côté.
Là-bas, il discutait avec quelques élèves lève - tôt qui étaient arrivés avant l'heure de la rentrée. Il a murmuré quelques mots. Les élèves lui avaient répondu humblement et avec timidité manifeste. Cette situation a rendu ma condition encore inconfortable. Je me rongeais de colère dans mon for intérieur. Ils étaient généreux avec les élèves en leur donnant quelques morceaux de craie. Pour ces pauvres gamins, c'était une offrande qu'ils remerciaient avec une grande gratitude.
Je l'ai recroisé sur mon chemin quand je me dirigeais vers la porte de ma classe pour l'ouvrir alors que lui, il était en train de quitter les lieux. En un éclair, nos pas et nos regards se croisèrent . Son regard était furieux, plein de mépris et de disgrâce. Il est parti tout en laissant chez moi une blessure incurable. C'était la pire chose qui devrait arriver à un enseignant débutant comme moi qui cherche ses repères.
Le directeur m'avait laissé en lambeaux. Il ne m'avait pas appuyé avec un seul mot. Il ne m'avait consolé avec une seule expression de son visage. Il était venu tamponner les documents et il ne les avait pas trouvés. Il était aussi venu pour entendre les élèves entonner avec leurs voix graves cette symphonie lui souhaitant la bienvenue :Assalam alykoum: que la paix et la clémence d'Allah soient sur vous! . Bienvenu notre honorable visiteur!
La symphonie n'était pas aussi bien mesurée comme celles dont il avait l'habitude d'entendre dans les classes des autres enseignants chevronnés.
L'impression du directeur qu'il s'est faite de moi était très négative. J'étais négligent, fainéant, irresponsable. J'étais affublé de tous les défauts. Cette première mauvaise impression comme une ombre jusqu'à la fin de l'année scolaire. Le directeur ne manquait aucune opportunité pour me dénigrer tout comme lors de ce dîner qui nous réunissait chez lui. J'étais le premier à quitter la table et à réciter les louanges rituels pour remercier la grâce de Dieu. Le directeur m'avait lorgné d'un regard furieux et m'avait transpercé d'une flèche mortelle."tu ne manges pas, tu ne travailles pas!"
J'avais l'âge, cher directeur de vos enfants cadets. J'espérais un appui inconditionnel de votre part. Je m'attendais à une poussée d'encouragement de votre côté qui m'aiderait à dompter cette solitude affligeante. Je m'attendais à quelques éloges même prétendues pour éclairer ma nuit sombre. Je m'attendais à des mots de gratitude et de reconnaissance dont je me rappelais aux pires moments de cet isolement ingrat et qui rendraient mon sourire perdu. J'étais comme un soldat engagé dans ces montagnes. J'avais opté pour la persévérance et le travail. Vous êtes venus et vous m'avez déçu! Pire, j'étais déçu de moi-même. Vous avez laissé mon âme désemparée, livrée à une lutte désespérée face à la solitude et à la dureté des circonstances et la déception qu'elles ramènent.
Vous êtes venus,Mr le directeur. Ah! si vous n'êtes pas venus!
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A SUIVRE