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Souvenirs d'un institueur ( 2 ème partie)


Souvenirs d'un institueur
 ( 2 ème partie)


Après une journée éprouvante au souk et après que je me suis procuré le minimum dont j'avais besoin, grâce aux petits soins de l'aimable Si Hammou, un agent de l'école centrale. Je devrais prendre le chemin de mon "douar"
Si Hammou était d'un abord agréable. Il me parlait du douar où je devrais passer l'année scolaire. J'étais sous l'épouvantable choc. J'avais l'air de quelqu'un qui a pardu l'usage de la parole . Les mots se bousculaient dans ma bouche mais s'obstinaient à sortir. On dirait qu' elles étaient résignées à la servitude! . Je suis curieux par nature et grâce à cette curiosité innée,je me suis parvenu à murmurer quelques questions et les réponses que j'en recevais me perçaient le coeur comme des projectiles foudroyantes. Elles étaient comme des sabres qui retournaient mes plaies et les ravivaient.
J'ai préféré m'abstenir. J'ai choisi de tenir les rênes d'une curiosité vivace. C'était inutile de poser des questions. J'avais opté pour la sauvegarde d'une lueur d'espoir. Qui sait?. Mon école pourrait se révéler un paradis enfoui entre ces montagnes rustiques et ingrates. Je serais peut-être de la sorte, le bienheureux "conquistador", un peu à la façon de Coulomb. Le douar craint comme la peste pourrait se transformer alors par magie en une Amérique à moi!
Dans la "transit" ( une Mercedes 207 reconnue pour son endurance), je n'étais pas un VIP. Je n'avais pas accès à la place du passager, cise au conducteur. C'était la chasse gardée de quelques femmes. J'étais "entassé" avec marchandise, chèvres,.. et Cies. J'avais la sensation d'être transposé dans un autre univers. Je m'en allais vers l'inconnu. Je me comparais à cette malheureuse mariée au pas indécis et timide qui quitte les siens pour un mari jamais vu sauf à la sauvette, probablement.
Nous sommes partis à quinze heures. La "transit" dégringolait puis montait des pentes époustouflantes. Cela me rappelait les Andes ou ces routes accidentées de l'Himalaya où les voyageurs ferment les yeux pour ne pas voir l'abîme.Les campagnards étaient bavards. Peut-être, c'était leur unique moyen pour esquiver les turpides du voyage-calvaire.Je ne comprenais dalle!.J'essayais de déchiffrer les traits de leurs visages, le mouvement de leurs lèvres. Je savais seulement que j'étais malgré moi leur "sujet". J'étais l'intrus, j'étais le citadin, j'étais celui qui va inculquer les rudiments du savoir à la marmaille du village.À part cela, leurs longues tirades n'étaient qu'une musique qui s'écoulait doucement et qui dorlotait mon ouïe ou le gribouillage d'un apprenti peintre dont l'oeuvre insaisissable comme un mystère, indéchiffrable comme un talisman.
La " transit" s’immobilisait trop souvent. Mes sens en faisaient autant. Oh! Mon Dieu!. C'est ici que je vais exercer mes prérogatives?. Je fixais Ammi Zaid de regard. Je tentais de lire ses pensées et par l'entremise de ses grimaces, j'en savais quelque chose sur le trajet.Non, ce n'était pas notre destination. Un bout de chemin nous attendait encore. Ce n'était pas la fin de notre peine. Je me consolais en me disant que ce sera peut-être le prochain. Ce sera peut-être notre tour pour débarquer. Mais j'ai commencé à m'impatienter. Le peu d'espoir que je caressais au début du voyage, s'estompa peu à peu laissant la place vacante à un désespoir accablant.
La route était rude, très rude. La "transit" rampait sur la pierraille et les reliefs serpentins lentement, très lentement et mon cœur palpitait rien qu'en m'imaginant me précipiter dans le ravin. J'avais l'air d'une jeune mère contemplant les premiers pas de son rejeton bien-aimé. Elle a si peur de ses chutes brusques. Son cœur s'arrachait à chaque trébuchement du bambin pour retrouver sa place à chaque redressement. C'était un interminable va et vient entre l'assurance et le risque,la quiétude et l'inquiétude, la sérénité et l'agitation.
Enfin, mon corps a lâché prise contre la fatigue galopante comme s'était soumise mon âme sous les coups assommants de chagrin. Nous sommes arrivés au sommet de la montagne dès le crépuscule et nous commençâmes la dégringolade. Nous nous apprêtâmes au débarquement. C'était l'issue de notre périple mais nul douar ne se pointa à l'horizon. Nous avions retrouvé le petit-fils de Ammi Zaid et quelques muletiers. Après, "la transit" quasi-obsolète, c'est le tour aux aux mules puis aux " chevilles ".
Nous étions au sommet. J'étais à la queue de la caravane. J’emboîtais le pas au petit-fils de mon bienfaiteur. Nous nous dirigeâmes au pied de la montagne. La route était spirale. Pourtant, j'admirais l'agilité de mon compagnon de route. Il traversait l'obscurité d'un pas si déterminant et si entreprenant. Je ne pouvais le suivre. J'étais trop mou et les pierres qui jalonnaient mon parcours n'étaient pas de mon bord. Je m'obstinais à les contourner mais c'était peine perdue. Elles prenaient leur revanche sur mes orteils déjà meurtris.
Emboîter le pas au petit-fils de mon ange gardien était une tâche incertaine, impossible. Il se tournait vers moi et l'air timide, il ralentissait pour m’accommoder. C'était un bon gars compatissant et candide comme l'étaient tous ces campagnards merveilleux.je suis arrivé au pied- à-terre de Ammi Zaid. J'étais plus fatigué qu'un boxeur qui venait d'être envoyé sur le tapis par un adversaire tenace et farouche.
Dans la maisonnée, toute la famille de mon hôte était réunie. Sa femme, sa bru et ses petits-enfants :Yassine, Said, Mohammed, Ismael, et Youssef. Je les avais salués et je me suis jeté par terre. Mon corps n'en pouvait plus. Les regards de ces enfants me dévoraient. Leurs rires hésitants brisaient le silence imposé par l'avènement du "nouveau maître"
Au dîner, ils m'ont servi "chriha", une sorte de figues asséchées et condensées, le thé et le couscous. Ce n'était pas le couscous dont j'étais familier. Il était garni d'une plante qu'on appelait (al karnab الكرنب )، une sorte de chou sauvage, et nous le nommons, "al warakia" (la feuillée). C'était comme une tuque verte sur un crâne chauve.
J'avais la croûte mais l'appétit m'avait délaissé comme un amoureux dont on ne voulait plus. J'ai porté quelques cuillères à ma bouche puis je me suis retiré murmurant"Allah yekhlef". Que Dieu vous rétribue pour tous vos efforts et que votre générosité soit bien récompensée! .
Ordinairement, la somme ne connaît pas son chemin vers mes sourcils mais cette nuit, elle m'avait embrassé avec son étreinte profonde et bien ouverte. La somme avait hâte à m'engloutir. J'avais hâte aussi de mon côté pour la levée du matin. J'étais impatient pour découvrir le douar,l'école, le "logement" et les "disciples".
Au petit matin très tôt, la voix nasillarde et grave de Ammi Zaid, venait me surprendre dans mon profond sommeil.
" أنكر المعلم!"*
" réveille-toi instit!
Youssef El Ansari
Traduit par Mostapha Lotfi Glillah
. La région de Ouarzazate et Zagora parlent le Tamazight, une branche du Berbère qui est la langue des autochtones de l'Afrique du Nord. Le Tamazight est parlé aussi dans al Haouz, dans les environs de Marrakech.
La photo est prise du mur de Youssef El Ansari

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